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Dix ans après la libération du Koweït, le face-à-face entre coalisés et irakiens dans le désert en 1991 rappelle les incertitudes de l'offensive terrestre

24 février 2001


Le 24 février 1991 à 0400, après 38 jours d'une guerre essentiellement aérienne, la coalition dirigée par les Etats-Unis lançait la quatrième phase de l'opération « Desert Storm », l'offensive terrestre contre l'armée irakienne. Cent heures d'opérations allaient suffire pour expulser celle-ci du territoire koweïtien, lui infliger de gigantesques pertes matérielles et faire plus de 86'000 soldats prisonniers.

De nos jours, la phase terrestre de l'opération est fréquemment considérée dans l'opinion comme une promenade de santé, alors même qu'il y a 10 ans certains commentateurs allaient jusqu'à promettre un nouveau « Vietnam » aux coalisés. Pourtant, un examen de la situation sur la frontière saoudienne, à l'aube de l'offensive terrestre, permet d'évaluer avec précision les moyens respectifs des belligérants et le bien-fondé de leurs décisions.



Les forces terrestres de la coalition au 24 février 1991


Les positions le 24.2.91, au niveau corps d'armée

Près de 800'000 soldats, provenant de 33 nations différentes, ont été engagés dans le Golfe sous la bannière de la coalition ; seule la moitié environ a toutefois pris une part effective à l'offensive terrestre contre l'armée irakienne.

A l'aube du 24 février, les forces sous le commandement opérationnel du général américain H. Norman Schwarzkopf rassemblaient, outre les composantes aériennes et navales, l'équivalent de 4 corps d'armée à 16 divisions de manœuvre.

Ces éléments étaient répartis en trois commandements: armée US (ARCENT, lt-gén Yeosock, 260'000 hommes des VIIe et XVIIIe corps), marines US (MARCENT, lt-gén Boomer, 80'000 hommes dans la Ière Marine Expeditionary Force) et coalisés arabes (Joint Forces Command, lt-gén et prince Khalid Ibn Sultan, 100'000 hommes en 2 groupements, nord et est).


L'emplacement, l'articulation, les moyens et les missions de ces subdivisions étaient les suivants :

A l'ouest, à plus de 250 km de la frontière koweïtienne, le XVIIIe corps aéroporté US, comprenant la 24e division d'infanterie mécanisée (renforcée d'une brigade mécanisée), la 82e division aéroportée (-), la 101e division aéromobile, la 6e division blindée légère française (" Daguet ", renforcée d'une brigade de la 82e) et le 3e régiment de cavalerie blindée, ainsi que 2 brigades d'aviation et 3 brigades d'artillerie. Au total, 535 véhicules de combat blindés, 466 systèmes d'artillerie et 314 hélicoptères d'attaque. Mission : attaquer dans la profondeur du territoire irakien et s'emparer des lignes de communications et des passages obligés à la hauteur de l'Euphrate afin de couper la route aux forces irakiennes occupant le Koweït.


Au centre de gravité des forces coalisées, le VIIe corps US, alors à peine déployé d'Allemagne sur le théâtre d'opérations koweïtien, et comprenant la 1ère division blindée (renforcée d'une brigade de la 3e division d'infanterie mécanisée restée en Allemagne), la 3e division blindée, la 1ère division d'infanterie mécanisée, la 1ère division blindée britannique et le 2e régiment de cavalerie blindée, avec 1 brigade d'aviation et 4 brigades d'artillerie, ainsi que la 1ère division de cavalerie blindée initialement réserve du commandant en chef. Au total, 1421 véhicules de combat blindés, 580 systèmes d'artillerie et 193 hélicoptères d'attaque. Mission : attaquer dans la profondeur du territoire irakien et anéantir la Garde républicaine entre l'Euphrate et le Koweït.


Au sud de la frontière entre l'Irak, l'Arabie Saoudite et le Koweït, le Joint Forces Command North, comprenant pour l'Egypte la 3e division d'infanterie mécanisée, la 4e division blindée et un régiment de Rangers, pour la Syrie la 9e division blindée et un régiment de forces spéciales, pour l'Arabie Saoudite la 4e brigade blindée et la 20e brigade mécanisée, ainsi que les brigades d'infanterie koweïtiennes Ash-Shahid et Al-Tahrir. Au total, 528 véhicules de combat blindés, 323 systèmes d'artillerie et 11 hélicoptères d'attaque. Mission : attaquer les forces irakiennes sur le territoire koweïtien et s'emparer des lignes de communications au nord-ouest de Koweït City, puis libérer celle-ci.


A une centaine de kilomètres de la côte, la Ière Marine Expeditionary Force, comprenant pour les éléments terrestres les 1ère et 2e division de Marines, la brigade Tiger de la 2e division blindée US (restée en Allemagne), ainsi que la 5e Marine Expeditionary Brigade comme réserve, dans le golfe Persique. Au total, 423 véhicules de combat blindés, 303 systèmes d'artillerie et 76 hélicoptères d'attaque. Mission : attaquer les forces irakiennes sur le territoire koweïtien et s'emparer de secteurs clés à l'ouest de Koweït City, tout en protégeant le flanc droit de la JFC-N.


Le long de la côte, le Joint Forces Command East, divisé grosso modo en 3 groupes de forces comprenant pour l'Arabie Saoudite la 2e brigade d'infanterie motorisée de la Garde, la 8e brigade d'infanterie mécanisée et la 10e brigade d'infanterie, pour le Koweït la brigade Al-Fatah, ainsi qu'un régiment mécanisé marocain et 5 bataillons d'infanterie des Emirats Arabes Unis, d'Oman, du Qatar, du Sénégal et du Bengladesh. Au total, 152 véhicules de combat blindés et 112 systèmes d'artillerie. Mission : attaquer les forces irakiennes sur le territoire koweïtien et s'emparer de secteurs clés sur la côte, et ainsi protéger le flanc de la I MEF, avant de libérer Koweït City.

 

Naturellement, d'autres contingents ont participé de manière plus ou moins directe à " Desert Storm ", par exemple dans des missions défensives en Arabie Saoudite. Dans la mesure où leur influence sur l'offensive est restée négligeable, nous n'en ferons pas ici l'inventaire.

 

La préparation de l'offensive terrestre alliée

Lance-roquettes multiples M-270

La date retenue pour la quatrième phase de " Desert Storm ", le 24 février, relevait de deux impératifs : d'une part, permettre à l'offensive aérienne de diminuer de 50% la capacité de combat des divisions irakiennes, et d'autre part prendre sous le couvert de l'aviation les bases de départ des différentes formations.

L'armada aérienne engagée depuis le 15 janvier 1991 comprenait en effet quelque 2400 avions de combat et d'appui au combat, dont plus de 1800 pour les seuls Etats-Unis ; en 38 jours, les pilotes de la coalition avaient effectué plus de 100'000 missions dont 60'000 offensives, et notamment 35'000 missions d'attaque sur les formations irakiennes déployées sur le théâtre d'opérations koweïtien.

La suprématie aérienne des coalisés va ainsi permettre aux forces terrestres d'effectuer à l'insu du commandement irakien un gigantesque déplacement à l'ouest : alors qu'au lancement de " Desert Storm " les formations alliées étaient en position au sud de la frontière koweïtienne, les XVIIIe et VIIe corps effectuèrent en 3 semaines un déplacement respectivement de 415 et 240 kilomètres, avec 270'000 hommes, 50'000 véhicules dont 7000 chenillés et toute la logistique nécessaire, pour occuper leurs bases de départ dans le désert. Parallèlement, les divisions des Marines modifièrent également leur dispositif à partir du 14 février et firent un déplacement de 160 km, afin de profiter des faiblesses du dispositif adverse, ce qui repoussa la date de l'attaque du 21 au 24 février.



Les forces terrestres irakiennes au 24 février 1991

Les positions le 24.2.91, au niveau corps d'armée

A l'aube de l'offensive terrestre, les planificateurs du Central Command estimaient que l'Irak conservait 450'000 hommes, répartis en 41 divisions distinctes et l'équivalent de 2 autres divisions en brigades indépendantes, dans le théâtre d'opérations koweïtien.

L'évaluation de leur capacité de combat discernait 17 divisions entre 75 et 100% (en rouge sur le schéma ci-contre), 9 entre 50 et 75% (en orange) et 15 entre 25 et 50% (en jaune). Cette estimation était basée à l'origine sur un rapport de la DIA annonçant, au début janvier 1991, l'engagement par Bagdad de 547'000 hommes, 4200 chars de combat, 2800 transporteurs d'infanterie blindés et 3100 pièces d'artillerie.

Mais la plupart des divisions irakiennes n'étaient pas à effectifs pleins (entre 12'100 et 14'100 selon le type) avant même le début de l'offensive aérienne, et les désertions endémiques dues aussi bien aux bombardements alliés, aux conditions de vie dans le désert qu'aux difficultés logistiques, avaient singulièrement réduit les effectifs : un rapport de la chambre américaine des représentants indiquait ainsi en 1992, sur la base notamment d'interrogatoires de prisonniers, des effectifs estimés à 352'000 hommes le 15 janvier, réduits à 183'000 moins de 6 semaines plus tard, en raison de 153'000 désertions, 17'000 évacuations sur blessures et 9000 décès. De nouvelles études des mêmes interrogatoires allaient toutefois aboutir, après le conflit, à une diminution importante du nombre de tués et blessés.

Le dispositif défensif irakien était cependant connu avec un important degré de certitude. Afin de conserver le Koweït ou à tout le moins de rendre sa conquête coûteuse en vies humaines, le régime de Bagdad avait engagé 25 divisions en défense statique, avec 10 divisions en réserve opérative et 8 autres divisions en réserve stratégique (6 autres divisions essentiellement d'infanterie étaient stationnées au centre et à l'ouest de l'Irak, et 18 divisions d'infanterie au nord, dans le Kurdistan). Ces forces étaient divisées en six corps d'armée :

 

Le long de la côte et jusqu'au centre du Koweït, le IIIe corps, comprenant 10 divisions d'infanterie (2e, 7e, 8e, 11e, 14e, 15e, 18e, 19e, 29e et 42e), 1 division d'infanterie mécanisée (5e) et 1 division blindée (3e). Mission : empêcher une poussée adverse dans son secteur, provenant du sud ou du golfe Persique.


Dans la partie ouest du Koweït, le IVe corps, comprenant 4 divisions d'infanterie (16e, 20e, 21e et 36e), 2 divisions d'infanterie mécanisée (1ère et 30e) et 1 division blindée (6e). Mission : empêcher une poussée adverse dans son secteur, provenant du sud.


Dans le désert irakien, jusqu'à 200 km à l'ouest du Koweït, le VIIe corps, comprenant 7 divisions d'infanterie (25e, 26e, 27e, 28e, 31e, 47e et 48e) et 1 division blindée (12e). Mission : empêcher une poussée adverse dans son secteur, délimité par le wadi " Al-Batin ", provenant surtout du sud.


Au nord du Koweït, sur la frontière avec l'Irak, le IIe corps blindé, comprenant 1 division d'infanterie mécanisée (51e) et 1 division blindée (17e). Mission : se tenir prêt à contre-attaquer l'adversaire ayant transpercé les lignes de défense ou à prendre des positions défensives, mais aussi à anéantir des forces adverses amphibies ou aéroportées au Koweït ou dans le sud-est de l'Irak.


A l'ouest du Koweït, à cheval sur la frontière, le corps Jihad, comprenant 2 divisions blindées (10e et 52e). Mission : se tenir prêt à contre-attaquer l'adversaire ayant transpercé les lignes de défense ou à prendre des positions défensives.


Au nord-ouest du Koweït, un corps de la Garde républicaine (RGFC), comprenant 1 division d'infanterie mécanisée (Tawakalna) et 2 divisions blindées (Al-Madinah et Hammurabi). Mission : se tenir prêt à anéantir la poussée principale adverse, lorsque celle-ci aura été décelée, ralentie et réduite par les autres forces.


 

D'autres divisions étaient en principe engagées au niveau supérieur, notamment la 45e division d'infanterie mécanisée, qui tenait la route et l'aérodrome d'As Salman (objectif de la division française), ou encore une division de forces spéciales à Koweït City. Enfin, il s'agit de relever que l'équivalent de 8 autres divisions, dont 3 divisions d'infanterie de la Garde républicaine (Nebuchadnezzar, Al-Adnan et Al-Fawah) étaient disposées le long de l'Euphrate et constituaient une réserve stratégique dont la mission reste inconnue.

 

La préparation de la défense terrestre irakienne

Sukhoi-25 irakien abattu par l'aviation alliée

Entre août 1990 et février 1991, les formations irakiennes ont eu 6 mois pour préparer leurs positions défensives et stocker les ressources nécessaires au combat : début janvier 1991, la DIA estimait ainsi que l'armée de Bagdad disposait de stocks pour 30 jours dans le théâtre d'opérations koweïtien. D'importants travaux du génie avaient par ailleurs été entrepris, sous l'observation permanente de la coalition.

Deux ceintures défensives avaient ainsi été érigées, en plus des innombrables fortifications et minages le long de la côte. La première ceinture, parallèle à la frontière et située entre 5 et 15 km à l'intérieur du territoire koweïtien, était composée de champs de mines contigus profonds de 100 à 200 mètres, renforcés par des barbelés, des fossés antichars, des digues, des tranchées remplies de pétrole, et couverts par des points d'appui de section ou de compagnie. La seconde ceinture, de conception identique à la première, était située environ 20 km derrière celle-ci et couverte par une ligne presque ininterrompue de positions défensives de brigades, composées de points d'appui et de tranchées de compagnie.

Cette disposition, qui témoigne des expériences de la guerre Iran-Irak, avait pour but de ralentir l'adversaire par la première ceinture, de l'encager dans des secteurs de feu préparés entre les deux, et de l'anéantir avant qu'il puisse franchir la seconde ceinture. Tout adversaire franchissant celle-ci devait être immédiatement contre-attaqué et détruit par les réserves au niveau division (un bataillon de chars par division d'infanterie) ou corps (une ou plusieurs divisions mécanisées/blindées).

Ces préparatifs ont toutefois rapidement été pris pour cible par l'aviation alliée, dans le cadre de la phase 3 de " Desert Storm " : de nombreux stocks et équipements ont été détruits, les voies de communications ont été gravement endommagées, alors que les systèmes de commandement et de contrôle ont été largement neutralisés. Dans de nombreux cas, les divisions d'infanterie de première ligne ont été progressivement isolées, déconnectées, démoralisées et affamées par le pilonnage constant.

Si l'on considère que leur niveau était déjà faible, puisqu'elles ne rassemblaient souvent que des conscrits mal instruits à la différence des soldats professionnels de la Garde républicaine, on s'imagine la faiblesse de la résistance que ces divisions d'infanterie pouvaient offrir. Toutefois, les réserves opératives irakiennes, soit une dizaine de divisions dont les meilleures, ont été relativement épargnées par les raids aériens, en raison aussi bien de la priorité de la campagne aérienne alliée que de leur camouflage efficace.

Il convient encore de considérer l'engagement de toxiques de combat, nervins ou vésicants, qui apparaissait certain au commandement allié avant le début de l'offensive terrestre. Malgré la préparation intensive des troupes durant " Desert Shield ", l'utilisation de l'arme C aurait certainement entraîné des pertes, et l'offensive aérienne n'est pas parvenue, en raison de renseignements insuffisants mais aussi de la répartition de stocks sur le théâtre d'opérations, à supprimer cette menace avant le début de l'offensive terrestre.

 

Forces et faiblesses des troupes irakiennes

Char T-72 irakien, capturé durant le conflit

Ce qui nous amène à l'évaluation des forces et faiblesses des troupes de Saddam Hussein. Nous n'examinerons pas ici les décisions stratégiques du maître de Bagdad, dans la mesure où elles échappent largement au domaine de la raison, mais bien les possibilités opératives et tactiques des unités irakiennes. Même si rétrospectivement elles semblent singulièrement limitées.

Les troupes irakiennes disposaient néanmoins d'une quantité impressionnante d'équipement lourd, d'un bon niveau qualitatif dans certaines unités : durant toute la campagne de " Desert Storm ", la coalition détruira ainsi 3847 chars de combat (dont 2162 durant l'offensive terrestre), 1450 transporteurs de troupe blindés (525) et 2917 pièces d'artillerie (1500). Par ailleurs, le camouflage efficace des unités de second échelon ou de la réserve opérative leur a permis de conserver une bonne capacité de combat, à la fois matérielle et psychologique, jusqu'au déclenchement de l'offensive terrestre. Au-delà des divisions d'infanterie taillées en pièces et quoi qu'il en soit de faible niveau, le commandement irakien pouvait donc compter sur une dizaine de divisions blindées, mécanisées ou de forces spéciales susceptibles de se battre – et qui le feront, parfois avec acharnement.

Mais l'incurie stratégique de Saddam Hussein avait de lourdes conséquences sur le concept des opérations irakien : avec une défense statique axée sur la conservation du terrain au lieu de l'anéantissement de l'adversaire, et qui plus est en partie mal orientée (5 divisions couvrant la côte), les grandes unités étaient incapables de s'appuyer mutuellement et vouées à une destruction séparée, pièce par pièce. Le colmatage des formations blindées et mécanisées était lui aussi voué à l'échec, ne serait-ce que par le système de commandement et contrôle très centralisé de l'armée irakienne, dont la rupture empêchait la transmission de renseignements ou d'ordres.

Ce concept n'était par ailleurs pas en rapport avec les possibilités tactiques des formations engagées : la faiblesse de la DCA légère, l'absence d'appareils à imagerie thermique, la mobilité restreinte des pièces d'artillerie, l'aveuglement des éléments de commandement et d'observation, et bien entendu la configuration particulière du terrain – à dire vrai, tout empêchait l'utilisation de formations mobiles comme réserve. La destruction complète de la division mécanisée Tawakalna de la Garde républicaine par le VIIe corps US sans presque aucune perte du côté allié malgré des combats acharnés, le 26 février 1991, le montre à l'envi.

Enfin, l'extension des lignes de communications et la vulnérabilité des dépôts n'étaient pas adaptés à la capacité d'action dans la profondeur de l'aviation alliée, de sorte que les divisions les plus proches de la frontière se trouvaient dans une situation sans issue avant même l'apparition du premier char adverse. Le régime de Bagdad a d'ailleurs tiré les conclusions de son inconséquence en matière d'effectifs et de logistique, puisque depuis le nombre de divisions d'infanterie classique a été ramené de près de 50 à 11.

 

Forces et faiblesses des troupes alliées

M-109A6 Paladin américain durant le conflit

Face au colosse irakien présumé, et non sans certains fondements, les planificateurs alliés redoutaient avant le conflit des pertes terrifiantes, se chiffrant par milliers. Pourtant, si la supériorité matérielle de la coalition ne faisait aucun doute, la supériorité numérique (440'000 contre 180'000) dépassait les prévisions. Au niveau qualitatif, il va de soi que les unités américaines, et dans une moindre mesure britanniques et françaises, étaient nettement avantagées par rapport aux unités arabes. Au fond, l'affrontement décisif de l'offensive terrestre opposait l'équivalent de 12 divisions blindées et mécanisées alliées, agissant de concert et s'appuyant mutuellement dans leurs corps respectifs, à 10 divisions irakiennes essentiellement isolées. Le simple rapport des effectifs allait dans certains cas atteindre 5:1.

Le concept des opérations terrestres du général Schwarzkopf était la conséquence logique de la mission reçue, dont deux éléments – expulser les forces irakiennes du Koweït, détruire la Garde républicaine – portaient effectivement sur les troupes adverses et non sur le terrain. La manœuvre à l'ouest, à commencer par le déplacement durant l'offensive aérienne, ne relève pas d'un quelconque génie opératif – les affrontements en Cyrénaïque durant la 2e Guerre mondiale en sont l'illustration –, mais représente un indéniable tour de force en matière de coordination et de logistique. Le niveau de prestations des grandes unités occidentales sera d'ailleurs remarquable : il suffit de songer au fait que certaines unités du VIIe corps ont pris part avec succès à l'offensive 1 jour seulement après la fin de leur déploiement sur le théâtre d'opérations !

Les performances technologiques seront par ailleurs une force majeure du côté allié. Les appareils à imagerie thermique permettront d'anéantir les blindés irakiens – T-72 notamment – avec des pertes minimes ; les systèmes de localisation GPS autoriseront des manœuvres complexes dans un terrain dépourvu de points de repère et limiteront les cas de " friendly fire " (qui entraîneront néanmoins la mort de 35 soldats) ; les radars de contre-batterie permettront de déclencher rapidement un feu massif, précis et dévastateur sur les positions irakiennes ; enfin, les hélicoptères de combat feront des ravages dans les unités adverses souvent sans même être détectés. Avec de tels avantages, un combat frontal ne pouvait que tourner à l'avantage de la coalition.

Celle-ci n'en connaissait pas moins plusieurs faiblesses. Les besoins logistiques des formations effectuant la manœuvre dans le désert seront énormes, en raison de la consommation en carburant considérable – jusqu'à 10 litres au km pour un char de combat M1 Abrams, par exemple – et de l'usage immodéré du feu pour assurer le succès de la manœuvre, qui entraînera de tirs de barrages à la fois brefs et violents sur la plupart des positions renforcées adverses. Or si la mobilité des véhicules de combat ou d'appui au combat alliés se révèlera remarquable, il n'en sera pas de même pour les véhicules de la logistique des grandes unités ; malgré l'établissement d'une gigantesque base logistique avancée dans le désert irakien pour chaque corps d'armée US, le ralentissement de la manœuvre était inévitable.

Par ailleurs, le système et les méthodes de commandement américaines n'étaient pas complètement adaptés à la situation. Le plan de l'opération comportait ainsi de nombreux éléments précis, au niveau des grandes unités, afin d'assurer la coordination des mouvements et l'appui réciproque. Mais lorsque l'effondrement des lignes de front irakiennes et la reddition de milliers de soldats rendit possible une rapide exploitation de la situation, le VIIe corps – lt-gén Franks – s'en tint au plan initial et évitera la moindre prise de risque. Ce qui en définitive, avec les difficultés logistiques déjà mentionnées, permettra à au moins un tiers des formations lourdes de la Garde républicaine de se soustraire à l'étau allié – et entraînera une controverse outre-Atlantique.

 

Conclusion : les pertes humaines et matérielles

Cadavres irakiens sur 'l'autoroute de la mort'

A l'aube du 24 février 1991, les commandants de la coalition ne pouvaient réprimer une sourde appréhension à l'idée de lancer leurs unités sur des positions défensives en apparence formidables, tenues par une armée certainement affaiblie par l'offensive aérienne, mais probablement encline à se battre avec autant d'acharnement que durant la guerre Iran-Irak, et pouvant à tout instant engager des toxiques de combat. Au Central Command, les estimations des pertes alliés oscillaient de 700 à 5000 morts. Mais certains experts plus ou moins officieux allèrent jusqu'à 70'000 morts – dans la déplorable tradition des boucheries de la 1ère Guerre mondiale !

Cent heures plus tard intervenait le cessez-le-feu sanctionnant la réussite de l'offensive, dont la rapidité surprenait même les plus optimistes. Au total, dans toute l'opération " Desert Storm ", les pertes alliées au combat comprenaient 240 morts et 776 blessés, qu'il convient d'additionner avec les 138 soldats tués et 2978 blessés hors combat, dans divers accidents, depuis " Desert Shield " ; 41 militaires alliés étaient par ailleurs prisonniers des Irakiens.

En regard de ces pertes minimes, sans aucun rapport avec celles des conflits mondiaux – 2500 tués et 8500 blessés alliés par exemple durant le débarquement en Normandie du 6 juin 1944, malgré des effectifs engagés dix fois inférieurs à ceux de la guerre du Golfe –, de nombreux observateurs conclurent rapidement à une offensive de parade, face à un adversaire refusant de se battre et d'ailleurs massacré en de véritables " tirs aux pigeons ". De fait, les premiers chiffres avancés à propos des pertes irakiennes allèrent jusqu'à 200'000 morts, alors même qu'un nombre très réduit de cadavres était visible sur le champ de bataille ! De nos jours, les informations provenant du régime de Bagdad tendent à faire accroire un massacre délibéré de soldats irakiens désarmés par la coalition, et avancent des chiffres semblables en s'appuyant sur des "estimations" faites par des journalistes occidentaux quelques jours après le cessez-le-feu.

En réalité, si les destructions matérielles ont été considérables dans le camp irakien, les pertes humaines se sont limitées à quelques milliers de morts, probablement entre 3000 et 5000, et entre 8000 et 15'000 blessés ; 86'000 militaires irakiens ont été faits prisonniers par la coalition, dont 2500 blessés, alors qu'on estime le nombre d'entre eux ayant réussi à fuir le théâtre d'opérations à 100'000.

Il n'en demeure pas moins que les meilleures formations irakiennes ont offert une résistance décidée à l'offensive alliée, entraînant de gigantesques batailles de chars dans le désert. Mais la supériorité tactique, technique, humaine et matérielle des formations occidentales allait complètement supplanter leurs adversaires, qui seront anéantis en n'infligeant que d'infimes dégâts. Pour se limiter à un seul exemple, sur les 1848 chars M1 Abrams engagés dans " Desert Storm ", 18 furent mis hors de combat : 9 furent complètement détruits par du feu ami et 9 simplement endommagés par l'adversaire, essentiellement par des mines.

En guise de conclusion, même si les formations du général Schwarzkopf n'ont laissé aucune possibilité de succès aux troupes irakiennes, cela s'explique avant tout par une stricte volonté de limiter au minimum les risques encourus, en engageant une force hégémonique dans tous les domaines. Mais ce que les chiffres ne traduisent pas, c'est la volonté de vaincre des militaires individuels de la coalition, leur état d'esprit de combattant, dont il n'est pas inutile de rappeler qu'il constitue le fondement de toute force armée – quelle que soit la situation.




Cap Ludovic Monnerat    








Sources

Jean-Jacques Langendorf, "Le bouclier et la tempête", Georg, 1995; General H. Norman Schwarzkopf, "It Doesn't Take A Hero", Bantam, 1992; Conduct of the Persian Gulf War (Final Report to Congress), 1992; Interim Report of the Committee on Armed Services, House of Representatives, 1992; Iraq's Army Organization, CNN, 1996; communiqués DefenseLINK, American Forces Press Service; Federation of American Scientists.


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